LE CARROUSEL DE JESSE HAMM

Carrousel 011 : Lire de près : Le tombeau du roi Tut

Toucan lisant une bande dessinée

Nous avons tous vu (et parfois subi !) des critiques de pages de bandes dessinées mal dessinées, mais il est rare de trouver une discussion détaillée sur des pages bien dessinées. Aujourd'hui, j'aimerais vous proposer une telle discussion - ou "lecture attentive" - de trois pages crayonnées par José Luis García-López. García-López est un "artiste d'artistes" - le genre d'artiste dont les autres artistes s'inspirent. Les pages suivantes démontrent pourquoi.

Elles sont tirées de Batman : King Tut's Tomb, un roman graphique écrit par Nunzio Defilippis et Christina Weir, encré par Kevin Nowlan, colorisé par David Baron et lettré par Ken Lopez. Les numéros de page sont 41-43, mais par souci de simplicité, je les appellerai 1-3.

TM & © DC Comics

PAGE 1

Panneau 1

García-López ouvre cette scène par un plan d'ensemble de l'extérieur d'un service de police. Il aurait pu passer directement à l'intérieur, mais cela aurait été désorientant ("Où sommes-nous ? Un bureau ... avec des flics ?"), alors il nous montre d'abord l'extérieur. Pour faire tenir le ciel et le niveau de la rue dans ce petit panneau, il incline le plan (une technique connue sous le nom d'"angle hollandais"). Le ciel et le niveau de la rue se combinent pour révéler l'heure de la journée : la couleur du ciel indique le soir, mais la présence de plusieurs piétons nous indique que nous ne sommes pas au milieu de la nuit.

Notez également les éléments architecturaux : l'angle arrondi et la tourelle du bâtiment. García-López se distingue notamment par les touches distinctives qu'il utilise pour donner vie à ses environnements. De nombreux artistes se contenteraient de dessiner un bâtiment standard, plat et carré. Certains, plus enthousiastes, pourraient dessiner un bâtiment beaucoup plus orné qui mettrait en valeur leurs compétences. Mais García-López a choisi un bâtiment qui se distingue tout en ressemblant à un commissariat de police standard. La plupart des professionnels expérimentés pratiquent un bon dessin, mais c'est son authenticité décontractée et judicieuse qui fait de García-López un maître.

Groupe 2

Ici encore, nous voyons des éléments distinctifs qui mettent en scène la scène. Remarquez le dossier réglable de la chaise à gauche et la lampe à droite. Le design de chaque élément est unique, sans pour autant attirer l'attention. Les uniformes des policiers ont fait l'objet d'un effort similaire. Sur le policier le plus proche, notez la pince à cravate, les épingles à col, l'épaulette boutonnée et la poche de chemise plissée. L'inspectrice en civil qui lui fait face porte sa carte d'identité sur un cordon et, bien que l'on ne puisse pas voir son holster sous cet angle, la sangle sur son épaule proche indique qu'elle en porte un. García-López ne se contente pas de coller des casquettes et des badges à tout le monde et de s'arrêter là ; il connaît parfaitement la façon dont les flics s'habillent et la révèle avec une aisance pratique qui convainc sans distraire.

Remarquez également les plans de profondeur. Au premier plan se trouvent les policiers que je viens de décrire, suivis de Batman et du Riddler au milieu, puis, à l'arrière-plan, des policiers devant une armoire à dossiers près du mur du fond. La composition du panneau en couches de cette manière crée une profondeur de champ, donnant à la page plane une impression de tridimensionnalité. Cela suggère également que les personnages principaux sont entourés de tous côtés par leur environnement, plutôt que d'être assis directement devant le lecteur comme sur une scène. L'effet est renforcé par le coloriste, qui atténue l'avant-plan avec un ton brun pâle, attirant ainsi notre attention sur les personnages principaux.

Groupe 3

Ici, nous nous rapprochons de nos personnages principaux, avec un aparté du commissaire Gordon. La remarque de Gordon est triviale, et nous n'entendrons plus parler de lui, c'est pourquoi García-López le place judicieusement à l'arrière-plan.

Notez le traitement du chapeau du Riddler. En tant qu'homme élégant, le Riddler ne devrait pas porter son chapeau à l'intérieur, mais le tenir rendrait les gestes difficiles (et les gestes sont importants !). Mais le tenir rendrait les gestes difficiles (et les gestes sont importants !), c'est pourquoi García-López le fait poser sur le bureau pendant toute la durée de la scène. À la fin de la scène, à la page suivante, nous le verrons le ramasser.

Groupe 4

Ici, le Riddler fait à nouveau des gestes. García-López connaît l'efficacité du langage corporel dans les bandes dessinées et l'utilise toujours à bon escient. Il sait également qu'il faut laisser de la place pour les bulles de texte. Pour les insérer, il fait pivoter le Riddler vers nous et écarte les mains.

Batman est également bien traité ici. La tentation est grande, lorsqu'on dessine des personnages héroïques faisant des choses banales, d'oublier de leur donner un air héroïque. Il est facile de dessiner Batman comme un héros lorsqu'il se balance sur les toits, mais beaucoup d'artistes le font ressembler à un nerd en costume lorsqu'il est assis. Cependant, García-López ne perd jamais de vue qu'il s'agit de BATMAN. Tout au long de la scène, il utilise les épaules incroyablement larges de Batman et son air sombre pour nous rappeler qu'il ne s'agit pas d'un simple homme assis à un bureau.

Groupe 5

L'environnement est ici minutieux mais modeste ; chaque objet est précis sans se vanter de l'être. Comme la lampe du panneau 1, la lampe au premier plan est unique mais simple. García-López a probablement feuilleté un catalogue de meubles pour trouver quelque chose de parfait. Il représente aussi habilement une photocopieuse avec quelques formes simples. Il inclut suffisamment de détails pour que la scène ait l'air réelle, mais sans encombrer l'attention, ni utiliser d'accessoires bizarrement distinctifs.

Groupe 6

Ici, les personnages sont isolés, sans arrière-plan ni bordure de panneau. Cela permet de rompre la monotonie des panneaux carrés et de donner de la variété à la page. Cela permet également d'économiser du temps de dessin ! En outre, le fait d'isoler les personnages au bord de la page permet à García-López de s'approcher sans trop rogner sur le cou de Batman. On ne veut jamais que Batman ressemble à une petite tête dans un coin.


TM & © DC Comics

PAGE 2

Panneau 1

Ici, nous passons à un plan inversé au-dessus des épaules des personnages. Cela met en place l'écran d'ordinateur qu'ils consultent et qui deviendra important lors de la révélation du panneau 5. Mais il est ennuyeux de fixer l'arrière de la tête des personnages principaux, c'est donc le seul plan où cela se produit. Dans les autres plans en plongée (panneaux 3 et 5), García-López "trompe" leurs visages vers nous, afin que nous puissions lire leurs expressions.

Il nous rappelle à nouveau la présence de la police dans la pièce, cette fois-ci avec un vieux détective un peu rustique au premier plan qui discute avec un flic à lunettes autour d'un café. L'âge, le poids, les lunettes, le café sont autant de moyens de conférer une certaine individualité aux "acteurs de l'arrière-plan".

Ici, et dans le panneau 2, le Riddler se penche pour regarder l'ordinateur, comme on le fait lorsqu'on lit un écran en position debout. Il est inconfortable de se pencher à la taille sans supporter son poids, alors il pose sa main sur le bureau. Il ne veut pas que son autre main pende de manière gênante, il la met donc dans sa poche. Ces répartitions de poids plausibles ajoutent à l'authenticité de la scène.

Les panneaux 2 à 5 n'ont pas d'arrière-plan, ce qui serait superflu à ce stade. García-López en a fait assez pour planter le décor, il est donc temps de passer à l'exposition restante, de révéler le méchant et de passer à la scène suivante.

Il termine cette scène avec un autre saignement dans le panneau 7, et nous passons à la page 3.


TM & © DC Comics

PAGE 3

Panneau 1

Nous avons à nouveau droit à un plan d'ouverture extérieur, mais le véritable intérêt réside dans ce qui se passe à l'intérieur, et cet extérieur est donc révélé dans un petit encart. Même ici, García-López montre son penchant pour le détail : l'aileron et la galerie de toit de la voiture, les garages sous les maisons, les divisions distinctives des vitres. Chaque détail est trop simple et insignifiant pour attirer l'attention, mais ils se combinent pour créer un environnement unique, plutôt que de nous montrer une maison ordinaire sur Anywhere Street.

Groupe 2

García-López a de nouveau recours à l'angle, afin de faire tenir un maximum de détails verticaux dans un espace relativement court.

Il s'agit de la réintroduction d'une femme nommée Leigh Carson, dont García-López souligne l'importance en la cadrant de la tête aux pieds, au centre du panneau. Il a également choisi de placer Batman dos à nous, pour éviter qu'il ne vole l'attention de Leigh. Il a également tourné la tête de Leigh de profil, de sorte que le chignon qu'elle portait lorsqu'elle a été présentée précédemment est clairement visible en silhouette. Ce type de repères visuels (les cornes de Batman, le chapeau du Riddler, le chignon de Leigh...) est utile pour identifier les personnages, en particulier dans les bandes dessinées, où le tracé n'est pas aussi précis que la résolution d'une photographie.

À l'arrière-plan, nous voyons une autre lampe caractéristique, cette fois-ci suspendue au plafond de la cuisine. Pour représenter une cuisine, on dessine généralement une cuisinière, un évier et divers appareils de comptoir : grille-pain, mixeur, etc. Cependant, sous l'angle choisi par García-López, aucun de ces éléments n'est visible. Il résout ce problème de deux manières : en tapissant les murs de la cuisine d'armoires et en suspendant des casseroles et des poêles à la partie inférieure de ces armoires. Ces éléments nous convainquent immédiatement de la fonction de la pièce sans révéler d'évier ou d'autres appareils.

Groupe 3

Ici, nous rencontrons brièvement les flics. Ils ont été chargés de surveiller Leigh et s'ennuient : l'un fait des mots croisés, l'autre regarde l'espace d'un air morne. La vie intérieure de ces personnages n'a rien à voir avec l'histoire, mais García-López nous laisse entrevoir leurs états d'âme parce que cela ajoute de la texture et de l'ampleur au monde fictif qu'il est en train de créer.

Il révèle également l'humeur de Leigh à travers son langage corporel. Dans le premier panneau, elle a le dos droit, la tête en avant, les coudes levés ; elle est en colère et cela se voit. Dans le deuxième panneau, son humeur s'est adoucie et elle est prête à écouter : elle est assise et son menton est levé d'un air curieux.

Groupe 4

La tête de Leigh est inclinée, indiquant sa curiosité alors qu'elle interroge les hommes. Mais ses boucles d'oreilles pendent à l'opposé de la direction de sa tête inclinée ; de telles suggestions de poids et de masse font partie de ce qui donne vie à l'art.

Groupe 5

Le Riddler pousse physiquement Batman sur le côté, reflétant ainsi ses efforts pour diriger la conversation. En l'absence de mouvement ou du son d'un dialogue parlé, les bandes dessinées doivent s'appuyer sur un jeu physique un peu plus lourd pour communiquer les états d'âme. Dans ce cas, l'haptique (communication par le toucher) du Riddler indique l'accent vocal qu'il met sur cette partie de leur conversation.

Et comme nous ne pouvons ni entendre la voix de Batman ni voir son visage à travers son masque, García-López (et son encreur) compensent en plissant ostensiblement le masque de Batman pour montrer son sourcil levé. Cela nous donne l'impression que Batman réfléchit à la conversation et qu'il ne se contente pas de réciter le dialogue dans le vide.

Ici, et dans la dernière planche, García-López a laissé tomber les arrière-plans. Le cadre a été bien établi et l'interaction des personnages est maintenant au centre de l'attention.

Groupe 6

C'est ici que nous avons le plus gros plan de la page, qui marque le point culminant de l'émotion : Leigh découvre que son ami Victor est le méchant de l'histoire. Son expression, la position de sa main, la taille de sa tête, l'absence de bordures, les reflets dans ses yeux... tout cela dit : "VOICI le but de cette scène".

C'est tout ce que j'ai à dire, mais j'espère que vous chercherez cette bande dessinée ou d'autres dessinées par García-López, afin d'en apprendre davantage sur son excellent exemple.

Rendez-vous le mois prochain !


Le carrousel de Jesse Hamm paraît le deuxième mardi de chaque mois sur Toucan !

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